Visite CSDU de Soignolles (Seine et Marne)

Ballade en Seine-et M..erde !

Puis une tranchée où à intervalles réguliers vrombit un long serpent métallique,
Grande vitesse assurément,
Pour que les citadins en partance pour la ville des soieries chatoyantes
Où la Grande Bleue – d’ailleurs de moins en moins bleue –
Ne devinent pas qu’ils traversent deux immenses décharges à ciel ouvert !
Ignorent-t-ils Fos-Sur-Mer ou Salindres ?
Et pour compléter ce paysage à la Bruegel, mais sans le talent fantastique,
Le ciel est balafré de fils à haute tension perchés sur des géants de ferraille à perte de vue,
Squelettes métalliques aux bras immobiles d’épouvantails lugubres.

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Ah ! J’oubliais de l’autre côté de cette tranchée ferroviaire, l’extension !
Joli vocable pour nommer ce nouveau dépotoir qui a vocation de dépasser son aîné.
Là, grossissant à vue d’œil sous la vomissure d’énormes camions, des fourmis jaunâtres,
A taille presque humaine, s’activent sur des bulldozers,
Ronflants dans la poussée descendante,
Glapissants dans la remontée,

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Foulant et refoulant nos déjections modernes :
Plastiques de toutes les couleurs (c’est moins triste !),
Tuyaux grossiers et éventrés, sacs à la noirceur de l’enfer….
Et pour animer cet infernal ballet maléfique et mortifère,
Une nuée de goélands argentés tentent vainement de couvrir de leurs cris le bruit mécanique.

Quatre, cinq minutes, un énorme semi-remorque chaussé de dix roues, se présente.
Autrefois, il a dû être d’une blancheur immaculée.
Mais aujourd’hui, la déchéance de l’âge le contraint à ce transport dégradant qui de salissures noirâtres en dégueulis suspects et dégoulinures nauséeuses maculent ses flancs palis et cabossés.
Il sait très bien qu’un jour prochain, il finira aussi dans un de ces lieux de décomposition !
Même le ciel s’était mis en berne et le soleil,
Honteux certainement,
S’était dissimulé à nos yeux stupéfaits.

Un petit tour sur la bande d’isolement,
Sensée apporter protection à l’environnement agricole,
Pour nous faire comprendre que nous vivons la fin du cycle de l’Homo Sapiens Sapiens.
Là, près de cette énorme déjection officielle,
Œuvre de nos experts en CSDU et autres installations classées protégeant l’environnement,
Les petits Hommo Sapiens Sapiens devenus Detritussimus  viennent à leur tour
Clandestinement
Déposer leurs laissées :
Vieux matelas aux traces à peine effacées des amours tumultueuses,
Pots de peintures aux éclaboussures colorées d’intérieurs proprets,
Bouteilles de gaz inertes nuançant l’orée du bois maigre de teintes industrielles,
Outils déglingués, inévitables cannettes d’aluminium, chopines de verre,
Bouteilles de plastique vouées à souiller le sol pour plusieurs siècles.
Faut bien laisser un souvenir à nos descendants !
Trop ringard une mosaïque ou une poterie sigillée….
Et bien sûr
Des pneus… des pneus, encore des pneus ! Toujours des pneus !
Ah ! Nos sacrées voitures et leurs chausses caoutchoutées jetées ça et là
Cerclant d’un noir charbonneux les quelques rares touffes d’herbe.
Et pourtant là, à quelques mètres, poussent du froment et du colza :
Pour qui ? Pour quoi faire ?
Je n’ose y penser.

Allons fuyons vers…
Ah ! Un château classique : Vaux-le-Vicomte !
Rigueur de l’architecture, équilibre des formes,
Nature domestiquée en des jardins à la française…
Délicat menuet de Lully, poésie coquine de La Fontaine,
Ce mouchoir de dentelle fine qu’agite là-bas la marquise de Sévigné…
Fouquet, Louis XIV, le Grand siècle !

Passé la colline – de vraie bonne terre briarde –
La lèpre nous saute de nouveau aux yeux !
De chaque côté de la route, une décharge :
Une ancienne reconvertie et une nouvelle en pleine activité.
Le ciel reste toujours aussi bas
Et le vent triste nous siffle aux oreilles pour nous chasser rapidement :
Fuyez, fuyez, ou…
La première décharge était celle du BTP :
Bétonner, bétonner et ensuite ? Que faire des gravois ?
Bah ! Une ancienne carrière fera l’affaire.

77, Fouju-Moisenay, Centre d'enfouissement technique des dŽchets classe 2
Aujourd’hui, grues, bulldozers, engins de chantiers s’affairent encore et mettent en tas
Pierrailles, ferrailles à béton rongées de rouille, briques brisées, etc…
Un semblant d’ordre !
Et là en face, la terre cancérisée, défigurée, anéantie : même l’herbe n’y pousse plus !
Paraphrasant notre histoire Lavisienne : « Où S… ou V… passe, l’herbe ne repousse plus !».
Ce sont les Attila des  temps modernes.
Trous gigantesques, abyssaux, où s’agitent une fois encore des bulldozers tintinnabulants,
Où les hommes – insectes s’agitent grotesquement dans une logique d’un autre temps,
D’une autre dimension ; là où le profit a remplacé l’humanité et montre dans ce vomi
Ejaculé des bennes son vrai visage de puanteur et de décomposition en germe.
Plus loin, de vastes étendues de plastique noir cachent au regard les précipices de déchets enfouis.
La terre n’est plus de la terre : chaos de pierres et de brimborions dérisoires
Sans végétation ni oiseau.
Car suprême recul d’un semblant de vie, de sinistres hauts-parleurs perchés sur des mâts déchirent l’air de faux appels de rapaces.
Là aussi, toute une tuyauterie capture les pets carbonés et délétères de la fermentation souterraine et va alimenter des groupes producteurs d’énergie qui ronronnent inlassablement au pourtour des lacs de plastique noir.
Paysage dantesque pétrifié dans la déchéance d’un monde moderne qui doit cacher maladroitement ses souillures inexploitées et les transmette en catimini aux générations futures… pour des siècles et des siècles…  sans mea culpa !

La Brie, cette autre plaine, grenier à grains de nos ancêtres n’est plus qu’un vaste champ de fausses collines végétalisées  réceptacles de nos rebuts.
Que devient la nappe phréatique de Brie ?
Une habitante se plaint de la qualité de l’eau du robinet dont il faut se méfier : il y aurait une forte teneur en pesticides !
Les propriétés individuelles ont bien sûr perdu de leur valeur marchande : l’agent immobilier nous le confirme : difficile de vendre même une très belle demeure tout équipée près d’une décharge, d’une route fréquentée par des poids lourds, d’une usine, etc….

Retournons vers notre Beauce encore vierge de cette abomination mais déjà la proie de ces appétits féroces des industriels du déchet qui la main sur le cœur jurent leurs grands dieux (Mais lesquels ?) qu’ils sont là pour protéger l’environnement et agissent pour le bien de l’humanité !

Ouf ! L’Essonne enfin et le soleil qui revient avec une nature plus accueillante, plus souriante, plus bienveillante.
Patrimoine à sauvegarder coûte que coûte !
Et voici Charles Péguy qui revient à mon cœur
– je ne partage pas ses choix politiques ni ses aspirations religieuses – Mais c’est du passé –
Demeure sa poésie et cette présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres :

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.
…/…
Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce ont fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.

Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.

Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.
…/…
Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
Dans le recourbement de notre blonde Loire,
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
N’est là que pour baiser votre auguste manteau.

Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse,
Et la Loire coulante et souvent limoneuse
N’est là que pour laver les pieds de ce coteau.

Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
Le portail de la ferme et les durs paysans
Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.

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Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
Et nous avons connu dès nos premiers regrets
Ce que peut recéler de désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate

Et qui se couche au ras d’un sol inévitable
Dur comme une justice, égal comme une barre,
Juste comme une loi, fermé comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.
…/…
C’est la gerbe et le blé qui ne périra point,
Qui ne fanera point au soleil de septembre,
Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,
C’est votre serviteur et c’est votre témoin.

C’est la tige et le blé qui ne pourrira pas,
Qui ne flétrira point aux ardeurs de l’été,
Qui ne moisira point dans un hiver gâté,
Qui ne transira point dans le commun trépas.
…/…
Comme vous commandez un océan d’épis,
Là-bas vous commandez un océan de têtes,
Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes
Se couche chaque soir devant votre parvis.

Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix.
C’est un commencement de Beauce à notre usage,
Des fermes et des champs taillés à votre image,
Mais coupés plus souvent par des rideaux de bois,

Et coupés plus souvent par de creuses vallées
Pour l’Yvette et la Bièvre et leurs accroissements,
Et leurs savants détours et leurs dégagements,
Et par les beaux châteaux et les longues allées.
…/…
Mais c’est toujours la France, ou petite ou plus grande,
Le pays des beaux blés et des encadrements,
Le pays de la grappe et des ruissellements,
Le pays de genêts, de bruyère, de lande.
…/…
Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan.
C’est un gros bourg très riche et qui sent sa province.
Fiers nous avons longé, regardés comme un prince,
Les fossés du château coupés comme un redan.

Dans la maison amie, hôtesse et fraternelle
On nous a fait coucher dans le lit du garçon.
Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson.
Le pain nous fut coupé d’une main maternelle.
…/…

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Pour le retour à des réalités plus terrestres, voyez les photos de Jean-Christophe.
Ah j’aurais bien aimé vous composer un blues sur un tel sujet mais Count Basie, Armstrong ou Miles Davis ne sont plus parmi nous….

 Alors avant de succomber sous l’amoncellement des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets,

des déchets ?

      ⇒      ADSE !

Luttons avec le Droit et le bon sens !

Jean-Pierre