La culture dominante est en train de tuer la planète. Il est grand temps pour ceux d’entre nous qui se soucient de la vie sur Terre de commencer à prendre les mesures nécessaires pour empêcher la civilisation de détruire tout ce qui vit.
Aujourd’hui, nous connaissons tous les statistiques et les tendances : 90 % des grands poissons ont disparu des océans, 97 % des forêts primitives ont été détruites, ainsi que 98 % des prairies primitives. Il y a dix fois plus de plastique que de phytoplancton dans les océans. Les populations d’amphibiens s’effondrent, tout comme les populations d’oiseaux migrateurs, de mollusques, de poissons, et ainsi de suite.
Avez-vous remarqué que vous ne devez plus nettoyer votre pare-brise aussi souvent? Même les populations d’insectes s’effondrent. Deux cents espèces disparaissent chaque jour. La civilisation présente détruit les terres. C’est ce qu’elle fait. L’Irak abritait jadis des forêts de cèdres si denses que la lumière du soleil n’atteignait pas le sol. L’un des premiers mythes écrits de cette culture relate l’histoire de Gilgamesh déforestant les collines et les vallées d’Irak afin d’y construire une grande cité.
La péninsule arabique était une savane implantée de chênes. Le Proche-Orient était densément boisé (nous connaissons tous les cèdres du Liban), tout comme la Grèce et l’Afrique du Nord.
Cette civilisation détruit les terres, et elle ne cessera pas de le faire, même si nous le demandons gentiment. Nous ne vivons pas dans une démocratie. Pensez-y : les gouvernements sont-ils au service des êtres vivants ou plutôt à celui des entreprises ? Les systèmes judiciaires tiennent-ils les PdG pour responsables des conséquences destructrices, souvent meurtrières, de leurs actes ?
Voici quelques devinettes qui ne sont pas très drôles :
Devinette : qu’obtient-on en mélangeant une vieille habitude de drogue, un tempérament à vif et un flingue ?
Réponse : deux condamnations à perpétuité pour homicide, libération au plus tôt en 2026.
Devinette : qu’obtient-on en mélangeant deux États-Nations, une grosse entreprise, quarante tonnes de poisons, et au moins huit mille êtres humains morts ?
Réponse : la retraite avec salaire complet et avantages afférents. Voilà ce qui est arrivé à Warren Anderson, PdG de la Union Carbide, responsable du massacre de Bhopal.
Voici une autre façon de présenter les choses : Comment appelez-vous quelqu’un qui conspire à diffuser du poison dans le métro de Tokyo ? Vous l’appelez terroriste et vous le mettez en prison à perpétuité. Comment appelez-vous quelqu’un qui conspire à diffuser du poison dans les nappes phréatiques des États-Unis ? Vous l’appelez Dick Cheney. Ou l’homme du pétrole et du gaz. Ou le fracker. Les riches sont-ils soumis au même système judiciaire que vous et moi ? Dans un prétoire, la vie terrestre a-t-elle le même poids qu’une multinationale ?
Nous connaissons tous les réponses à ces questions. Et nous savons parfaitement, au fond de nous, sinon dans nos têtes, que cette civilisation ne se laissera jamais transformer volontairement afin d’adopter un mode de vie sain et durable.
Si vous vous souciez de la vie sur cette planète et si vous pensez que cette civilisation ne cessera pas volontairement de la détruire, en quoi cela influence-t-il vos méthodes de résistance ?
La plupart d’entre nous l’ignorent parce que la plupart d’entre nous n’en parlent guère.
Un changement de stratégie et de tactiques doit se produire si nous voulons construire une résistance efficace. Il y est question d’interposer nos corps et nos existences entre le système industriel et toute vie sur la planète. Il y est question de contre-attaque.
Ceux qui viendront après nous, héritant de ce qu’il restera du monde une fois cette civilisation arrêtée – que ce soit à la suite d’un pic pétrolier, d’un effondrement économique ou écologique,ou encore grâce aux efforts de femmes et d’hommes unis au monde naturel dans la même résistance –, nous jugeront en fonction de la santé des terres et de ce que nous leur laisserons. Ils n’auront que faire de la manière dont vous et moi aurons vécu, des efforts que nous aurons fournis, ou de nos bonnes intentions. Ils n’auront que faire de notre violence ou de notre non-violence. Ils n’auront que faire des larmes que nous verserons sur le meurtre de la planète. Ils n’auront que faire de savoir si nous étions conscients ou pas de ce qui se passait.
Ils n’auront que faire de nos excuses pour ne pas agir. « Je suis trop stressé pour y réfléchir… C’est trop gros, ça fait peur… Je suis trop occupé… Ceux qui sont au pouvoir me tueront si je me retourne contre eux… Si je riposte, je risque de devenir comme eux… Mais puisque je triais mes déchets ! » et autres excuses par milliers que nous avons trop souvent entendues.
Ceux qui viendront après nous n’auront que faire de la simplicité de la vie que nous aurons eue. Ils n’auront que faire de la sincérité de nos intentions ou de nos actes. Ils n’auront que faire de savoir que nous avons entrepris le changement que nous voulions voir. Ils n’auront que faire que nous ayons voté démocrate, républicain, vert, libertaire, ou pas du tout. Ils n’auront que faire des livres volumineux que nous aurons écrits sur le sujet. Ils n’auront que faire de la compassion que nous aurons eue pour les PdG et les politiciens qui sont à la tête de cette économie mortifère. Ils voudront seulement savoir s’ils peuvent respirer l’air et boire l’eau.
Chaque nouvelle étude nous prouve que le réchauffement climatique se produit bien plus vite que prévu. Les scientifiques suggèrent maintenant la possibilité réelle que des milliards d’êtres humains soient tués dans ce que certains appellent déjà un « Holocauste climatique ». Une étude récente émet l’hypothèse d’une augmentation de température de 16 ° Celsius d’ici l’an 2100. Nous ne parlons pas d’un futur lointain où la planète serait détruite par cette civilisation. Nous parlons d’une époque que les enfants nés aujourd’hui connaîtront et qu’ils devront endurer. Cette civilisation a-t-elle plus de valeur que la vie de nos propres enfants ?
Dans son livre Les médecins nazis, Robert Jay Lifton se demande comment des hommes ayant prêté le serment d’Hippocrate ont pu travailler dans des prisons où les détenus étaient torturés à mort ou tués à la chaîne. Il a constaté que la plupartdes médecins se souciaient honnêtement de leurs patients et faisaient tout ce qui était en leur pouvoir, à savoir pas grand-chose, pour leur rendre la vie meilleure. Si un détenu tombait malade, ils pouvaient aller jusqu’à lui donner une aspirine. Ils pouvaient l’aliter pour un jour ou deux, mais pas plus, sinon le détenu risquait d’être éliminé. Ils pouvaient tuer des détenusatteints de maladies contagieuses pour éviter la propagation.
Tout cela avait un sens dans le contexte d’Auschwitz. Les médecins faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour aider les détenus, à l’exception de la chose la plus importante de toutes : ils n’ont jamais remis en question l’existence d’Auschwitz même.
Ils n’ont jamais remis en question le travail à mort des détenus.
Ils n’ont jamais remis en question leur privation létale de nourriture. Ils n’ont jamais remis en question leur emprisonnement.
Ils n’ont jamais remis en question leur torture. Ils n’ont jamais remis en question leur empoisonnement. Ils n’ont jamais remis en question l’existence d’une civilisation qui conduisait à ces atrocités. Ils n’ont jamais remis en question la logique qui conduit inévitablement aux clôtures électrifiées, aux chambres à gaz et aux balles dans la tête.
Nous, en tant qu’écologistes, faisons de même. Nous nous battons autant que possible pour protéger les lieux que nous aimons en utilisant au mieux les outils du système. Pourtant, nous ne faisons pas la chose la plus importante de toutes : nous ne remettons pas en cause l’existence de cette culture meurtrière.
Nous ne remettons pas en cause l’existence d’un système économique et social qui précipite notre monde vers la mort, en l’affamant, en l’emprisonnant, en le torturant. Nous ne remettons pas en question la logique qui conduit inévitablement aux coupes forestières à blanc, aux océans assassinés, à la perte de surfaces arables, aux rivières endiguées et aux nappes aquifères empoisonnées. Nous n’agissons certainement pas dans le but de mettre un terme à ces horreurs.
Qu’est-ce que toutes les solutions présumées traditionnelles au réchauffement climatique ont en commun ? Elles considèrent le capitalisme industriel comme une évidence.
J’ai un jour demandé à un enfant de sept ans :
« que faut-il faire pour arrêter le réchauffement climatique, causé en grande partie par la combustion de pétrole et de gaz ? » L’enfant a répondu : « Arrêter de brûler du pétrole et du gaz ! » À quoi j’ai répondu : « Tu es bien plus malin que tous les écologistes que j’aie jamais rencontrés. » Si vous demandez à n’importe quelle personne de 35 ans, raisonnablement intelligente, travaillant dans le développement durable pour une multinationale
de conseils en haute technologie, vous recevrez une réponse qui, en réalité, est plus apte à aider la multinationale que le monde réel.
Quand la plupart des membres de cette civilisation demandent « Comment pouvons-nous arrêter le réchauffement climatique ? », ils ne posent pas vraiment cette question. Ils demandent en réalité : « Comment arrêter le réchauffement climatique sans arrêter de consommer du pétrole et du gaz,sans arrêter le développement industriel, sans arrêter ce système “omnicidaire” ? » On ne peut pas.
Ou quand les gens demandent : « Comment sauver les saumons ? » La vraie réponse est plutôt radicale : retirer les barrages, arrêter l’exploitation forestière industrielle, arrêter la pêcheindustrielle, arrêter la destruction des océans, mettre un terme au réchauffement climatique. Mais ce qu’ils demandent en fait, c’est : « Comment sauver les saumons sans retirer les barrages, sans arrêter l’exploitation forestière industrielle, sans arrêter la pêche industrielle, sans arrêter la destruction des océans, sans arrêter le réchauffement climatique ? » La réponse est : on ne peut pas.
Voyons la chose autrement : que feriez-vous si des extraterrestres avaient envahi la planète, vidaient les océans, rasaient les forêts, construisaient des barrages sur toutes les rivières, bouleversaient le climat, contaminaient à l’aide de dioxines et de divers produits cancérigènes le lait maternel, la chair même de vos enfants, celle de votre partenaire, de votre mère, père, frère, soeur, de vos amis, ainsi que la vôtre ? Si des extraterrestres commettaient tout cela, résisteriez-vous ? S’il existait un mouvement de résistance, le rejoindriez-vous ? Si ce n’était pas le cas, pourquoi ne le feriez-vous pas ? À quel point la situation devrait-elle empirer avant que vous ne vous décidiez à arrêter ceux qui détruisent la planète, qui tuent ceux que vous aimez, et vous tuent vous-même ?
90 % des grands poissons ont déjà disparu des océans. Quel est votre seuil de tolérance en matière de résistance ? 91 % ?92 % ? 93 % ? 94 % ? Attendrez-vous qu’ils en aient tué 95 % ?96 ? 97 ? 98 ? 99 ? Pourquoi pas 100 % ? Passerez-vous alors à la contre-attaque ?
Contre-attaquer signifie avant tout penser et ressentir par etpour nous-mêmes, trouver qui et ce que nous aimons ; trouver la meilleure façon de défendre nos proches, en recourant aux moyens nécessaires et adéquats. Nous devons priver les richesde leur capacité à voler les pauvres et les puissants de leur capacité à détruire la planète.
Nous avons besoin de passer à l’action directe contre les infrastructures stratégiques ; nous devons construire des démocraties directes fondées sur les droits humains et non humains ainsi que sur des cultures matérielles durables. Les différentes branches de ces mouvements de résistance doivent travailler en tandem, les déclarées comme les clandestines, les militantes comme les non-violentes, les militants de première ligne comme les travailleurs culturels. Nous avons besoin de tous.
Enfin et surtout, nous avons besoin de courage. Le mot courage a pour racine le mot coeur. Nous avons besoin de tout le courage dont le coeur humain est capable, comme arme offensive aussi bien que comme bouclier, tous deux destinés à défendre ce qui reste de la planète.
La pierre angulaire du courage est, bien sûr, l’amour.
Les oiseaux migrateurs et les saumons ont besoin de notre amour car ils sont en train de disparaître, de s’enfoncer dans la longue nuit de l’extinction.
C’est à nous de construire une résistance avec tout ce qui nous tombe sous la main : murmures et prières, histoire(s)et rêves, mais aussi nos paroles et nos actes les plus vaillants.
Cela semblera souvent impossible, pourtant il faudra le faire.
Avec l’amour comme cause première, comment pourrions-nous échouer ?
https://www.partage-le.com/2015/12/16/une-introduction-a-deep-green-resistance-par-derrick-jensen/